Cette recherche-action a été réalisée dans le but de vérifier l'hypothèse selon laquelle les Belges d'origine sont peu présents dans les actions d'alphabétisation à Bruxelles, de recueillir les avis des associations et des apprenants par rapport à cette problématique et de définir les moyens nécessaires pour que ce public trouve effectivement sa place dans ces actions.
En ce qui concerne les causes de l'illettrisme, ce qui ressort des témoignages des apprenants, c'est la notion de rupture : rupture sociale (conditions de vies difficiles, marginalité), ruptures familiales (placements, deuils, séparations, immigration, mais aussi rupture linguistique entre la langue de la maison et la langue de l'école), rupture scolaire (parcours chaotique et douloureux) et rupture identitaire (identification à un modèle négatif - " je suis bête " - remplaçant toute identité propre). Les témoignages mettent aussi en évidence la difficulté à oser, non seulement franchir la porte d'un centre d'alphabétisation mais aussi sortir de sa condition d'analphabète. Ainsi que la lutte permanente entre une attitude d'infériorisation sociale, entraînant les personnes dans une spirale négative et une attitude de résistance et de combat, permettant de s'engager dans une spirale positive.[-]

Le titre de ce numéro du Journal de l'alpha est placé sous une double ponctuation.

Un point d'interrogation d'abord, raccourci de multiples questions sur les publics de l'alphabétisation – ceux qui sont en formation, ceux qui n'y sont plus, ceux qui pourraient y être mais ne le sont pas... – et sur nos pratiques, leur pertinence, nos modalités d'action, nos moyens...

Un point d'exclamation ensuite, pour réaffirmer le droit à l'alphabétisation pour tout adulte qui le souhaite, qui résonne comme un rappel du droit fondamental de chacun à acquérir les savoirs de base, et qui revendique la nécessité de politiques concertées à hauteur de l'enjeu de la persistance de l'analphabétisme.

Avec, en toile de fond, un fil rouge aujourd'hui récurrent : le constat d'une vulnérabilité sociale croissante des publics de l'alpha, conjuguée au « paradigme » de l'État social actif qui, au travers de différentes politiques ciblées, exerce une violence institutionnelle de plus en plus dure envers ceux qui sont les plus exposés aux mutations socioéconomiques.[-]

S'interroger sur comment les politiques publiques, les services publics ou privés, les médias… prennent en compte les personnes analphabètes et illettrées, c'est dresser les contours de la place que notre société accorde aux personnes ne maîtrisant pas les compétences de base. Et là, il faut bien constater que c'est la double peine qui s'applique : les inégalités socio–économiques, de genre, d'origine… sont source de la (re)production de l'illettrisme, illettrisme qui a pour conséquence d'entraver l'accès aux ressources collectives auxquelles ces personnes ont droit.

Ce Journal de l'alpha rassemble diverses contributions autour de cette question de la prise en compte : réflexion sur la différence entre inégalités et discriminations, pratiques pour rapprocher les publics dits « éloignés » de l'alphabétisation, voies d'action qui permettent aux personnes analphabètes ou illettrées de défendre leurs droits et d'être reconnues comme citoyens et citoyennes à part entière, ici et maintenant, sans condition préalable quant à la maîtrise des compétences de base.[-]