Colporteurs africains à Marseille : un siècle d'aventures
Colporteurs et marchands
L'une est géographe et enseignante, l'autre socio-anthropologue, toutes deux sont chercheures ; l'urbanisme, l'aménagement du territoire, l'environnement, les gens sont leur commune passion d'investigatrices. L'ouvrage qu'elles nous livrent a bien choisi sa collection d'accueil. Il est le bienvenu.
Voici, en effet, cent soixante-six pages et une vingtaine de photographies qui nous narrent une aventure toute simple, coutumière, humblement poursuivie en des vies de galère, de travail et débrouille qui parcourent l'histoire d'une grande partie du XXe siècle où les Africains qui ont grandi dans nos anciennes colonies ont été plus ou moins embarqués dans les guerres, l'une mondiale, mais comment appeler les autres : coloniales, d'indépendance ou tout simplement particulière ? En tout cas des guerres dont ils furent parfois les acteurs et dont ils restent les bénéficiaires, si je peux oser ce qualificatif ironique, où chacun a lutté à sa façon pour survivre, émerger et pour les plus chanceux faire souche en devenant français mais en restant si intimement africains, issus des étincelles d'un Empire éclaté en pays nouveaux qui n'ont pas fini de se construire…
Ainsi, ces Africains, généralement hommes, femmes parfois aussi, d'abord jeunes devenus marseillais, puis vieux et toujours marseillais, ont eu une vie qui mérite d'être contée. La couverture symbolise clairement ces aventures : des " Sénégalais " de nos guerres européennes, arrivés en bateaux et souvent soutiers de ceux-ci, jamais loin de la mer et du port, même lorsque le sac est à terre. Puis, après eux leurs femmes, leurs familles, leur descendance : " Français d'ailleurs, peuple d'ici. " Le préambule de Pierre Milza et Émile Temine, commun à tout ouvrage de la collection, nous l'annonce. On peut évidemment lire ce préambule. On nous dit aussi beaucoup de choses en quatrième de couverture, mais si vous voulez tout savoir, ne vous en contentez pas. Plongez-vous dans ces vies, ce que les protagonistes en disent et ce que les travailleuses " sur les articulations entre mobilités, identités, politiques et territoires urbains " nous en content. Ce travail articulaire ne vous donnera ni rhumatismes ni arthrose, bien que les navigateurs et colporteurs africains venus il y a si longtemps à Marseille pour certains ne doivent pas en être exemptés.
Le marin est le premier présenté et c'est l'évidence même ; il n'y a pas si longtemps encore, on ne venait pas en Europe par avion, alors qu'aujourd'hui on peut en revenir gratuitement par charter, on y venait par mer, soit sur le pont, soit dans les soutes. C'était de toute manière mieux que maintenant où " leurs petits " arrivent dans l'Union européenne dans des containeurs ou sur des embarcations de fortune livrées au hasard des terribles courants de Gibraltar où l'Atlantique déverse inlassablement ses eaux dans une Méditerranée déficitaire, rejetant les candidats à l'eldorado de rêves et de misères en pleine eau jusqu'à ne jamais atterrir. Ceux que nous rencontrons ont pu embarquer à l'instar de Louis N'Diaye, dit " Magatte Colossal " : vous saurez ici ce qu'un tailleur sénégalais peut devenir. Dès le pied sur le bateau, les plus entreprenants se mettent dans un trafic " entre ici et là-bas ", où ils deviennent passeurs de clandestins (déjà !), mais aussi importateurs des produits du " pays ". Comme le disent les marins de fortune eux-mêmes : " Tirailleurs sénégalais, marins et dockers " ; et nos " articulatrices " commentent : " Des métiers dictés par la conjoncture. " Ce n'était pas facile, et après la Seconde Guerre mondiale les marins coloniaux furent " précarisés ", ce qui les laissa échoués sur les docks de Marseille. De là, pour peu qu'ils sachent cuisiner, nombre d'entre eux devinrent restaurateurs. Mais combien de petits boulots et de solitude pour tant d'autres !
Une autre figure, le " colporteur mouride ". Celui-ci, on le connaît bien. Pour ma part, je l'ai rencontré à Pise, au pied de la Tour, à Venise du côté de Rialto, à Bruxelles sur la Grand-Place et même à Mexico du côté de Teotihuacán. Aussi, bien entendu, dans les rues de Paris et d'autres villes en France. Cette confrérie est le " lieu de regroupement des paysans wolof et d'opposition au colonisateur " à ses débuts ; " la capacité des mourides à développer de nouvelles structures adaptées au milieu urbain " a montré leur force, ils ont su faire de Marseille la " plaque tournante (de leur) négoce ". A suivi un ancrage plus personnalisé, plus diversifié qui nous est présenté en un texte limpide et passionnant.
Et puis voilà que l'aventurier arrive " à l'ère de l'Afrique des individus " dont le vivier se rencontre parmi les étudiants. Mais il y a également les " mamans " qui sont aussi énergiques que les fameuses " Nanas Benz ". Ce ne sont pas les élégantes qui, à Kinshasa dans les années 1960-1970, portaient des pagnes dénommés " mon mari est capable " pour montrer leur réussite sociale par alliance bien établie, ce sont de véritables aventurières de la débrouille et du courage pour s'en sortir, ce sont elles qui sont capables.
Lieu d'édition : Paris
Collection : Français d'ailleurs, peuple d'ici
Niveau d'autorisation : 0
Langue : FRANCAIS